Résumé:
La complexité du fonctionnement des marchés financiers à laquelle s'ajoute leur évolution fulgurante marquée par une sophistication de plus en plus pointue de ses procédés, ont imposé aux chercheurs et théoriciens de la finance d'examiner différentes pistes théoriques et empiriques en vue d'apporter des explications plausibles aux comportements des prix et des investisseurs y opérant. Les études menées dans ce sens, depuis le début du 20ème siècle, ont permis de théoriser la finance de marché autour d'un paradigme dominant qui a révolutionné le monde de la recherche, appelé l'efficience des marchés financiers ou the Efficient Market Hypothesis (EMH).
La théorie de l'efficience trouve son origine dans les travaux pionniers de Bachelier (1900), qui démontre, dans sa thèse de doctorat, que les mécanismes de détermination et d'établissement des prix sur les marchés financiers répondent à un processus de marche aléatoire, selon lequel les prix des actifs financiers évoluent dans le temps de manière aléatoire. S'appuyant sur cette conclusion, Eugène Fama (1965) développe un cadre théorique plus structuré, par lequel il modélise et définit pour la première fois le concept d'efficience des marchés financiers, ce qui lui prévaut la reconnaissance du cercle académique comme père fondateur de l'EMH. Selon l'auteur, un marché est dit efficient si le prix observé reflète à tout instant l'information disponible. Cette définition implique que sur un marché efficient le prix englobe instantanément les conséquences des évènements passés et reflète les anticipations des évènements futurs. Il en ressort qu'aucun investisseur ne peut à l'aide des prix passés prévoir les variations des prix futurs et dégager, ainsi, un rendement anormal. Cette imprévisibilité fait intervenir deux concepts fondamentaux de la théorie de l'efficience, à savoir la rationalité des investisseurs et la valeur fondamentale.
Le premier renvoi à l'hypothèse formulée par Fama (1965) selon laquelle les agents opérants sur les marchés financiers sont parfaitement rationnels, dans le sens où ils interviennent sur le marché dans l'unique but de maximiser leur utilité espérée, et ne se laissent, en aucun cas, influencer par des données géographiques, historiques ou sociales. Le comportement de ces agents est tel, qu'il permet aux prix réels des titres cotés de s'aligner à tout moment à leur valeur fondamentale, autre benchmark de l'efficience. Tout écart de prix dû à une anomalie quelconque serait aussitôt absorbé par les arbitragistes présents sur ces marchés.
Les hypothèses de l'efficience proposées par Fama (1965) ont façonné les modèles d'arbitrage et d'évaluation des actifs financiers et de façon plus générale, la théorie moderne du portefeuille développée par Markowitz, Sharpe et Lintner dans les années 50. Les différentes recherches et investigations empiriques conduites depuis l'apport de Fama (1965) tendent à valider systématiquement le concept d'efficience, devenue la théorie prédominante en finance de marché. Toutefois, des études plus récentes menées sur différentes places financières et faisant intervenir des modèles économétriques sophistiqués, ont mis en exergue le caractère restrictif des conditions nécessaires à l'efficience et l'incompatibilité de ses hypothèses avec la réalité du fonctionnement des marchés financiers.
Forte de ce constat, une littérature abondante a commencé à se constituer au début des années 80, alimentée par les travaux de chercheurs de renommée internationale (Kahneman, Tversky, Shiller, Shleifer et DeBondt et Thaler). Ce cadre de recherche, qui pose les fondations d'une théorie financière alternative, propose de nouvelles pistes d'interprétation des dysfonctionnements des marchés financiers, en remettant en cause l'hypothèse sacro-sainte de la rationalité des investisseurs. Pas que, puisqu'il s'avère que les principales forces d'arbitrage grâce auxquelles les marchés atteignent l'efficience semblent risquées et limitées, corroborant d'autant plus cette nouvelle pensée. La Finance Comportementale ou " Behavioral Finance ", est née.
Ce nouveau paradigme de recherche étudie l'influence de la psychologie des investisseurs sur leur comportement. Ses avocats considèrent que la seule prise en compte de modèles mathématiques ne permet pas d'expliquer le comportement humain et encore moins les interactions entre les investisseurs sur les marchés financiers. Ils proposent pour cela, d'introduire dans les modélisations d'évaluation des actifs financiers et d'analyse du comportement des prix, des variables relevant de la psychologie cognitive et sociale. Cette nouvelle donnée a permis de mettre en exergue de nombreux biais psychologiques qui s'avèrent influencer de façon significative le processus d'analyse et de prise de décision des différentes catégories d'intervenant sur les marchés financiers (analystes de marché, gestionnaires de fond, investisseurs individuels et institutionnels).
L'autre considération apportée par la finance comportementale réside dans les risques pouvant limiter le processus d'arbitrage, principal argument avancé par la théorie de l'efficience à l'effet de permettre le rétablissement de l'équilibre des prix. La littérature financière distingue trois sources de risques et coûts pouvant entraver la conclusion d'opérations d'arbitrage, il s'agit du risque fondamental, des coûts de mise en œuvre et du risque du noise trader (Shleifer, 2000 ; Hirshleifer, 2001 ; Barberis et Thaler, 2002 ; Ritter, 2003).
De par ces propositions, jugées plus réalistes, l'approche comportementale s'impose de plus en plus, dans la sphère académique et chez les praticiens de la finance comme le nouveau paradigme de recherche en finance de marché, avec comme consécration, le Prix Nobel d'Economie obtenu, en 2002, par son père fondateur Daniel Kahneman. Depuis, un nombre considérable de recherches et d'investigations empiriques s'est intéressé aux postulats avancés par la finance comportementale, tant dans l'examen des biais psychologiques inhérents aux croyances et préférences des investisseurs, que dans l'interprétation des anomalies observées sur les marchés financiers, que les tenants de l'approche rationnelle tentent d'expliquer, en vain.
Les résultats obtenus depuis plus de trente ans font de la relation entre biais psychologiques des investisseurs et le comportement des prix, une évidence. En effet, les intervenants sur les marchés semblent se comporter de façon non rationnelle et se laissent souvent influencer par des effets liés à certaines périodes du calendrier (jour, weekend, mois ou année), à des effets cycliques, aux caractéristiques des entreprises (Sikes, 2014 ; Easterday et Sen, 2016 ; Mamede et Malaquias, 2017) ou aux facteurs météorologiques (Yang et al, 2016). D'autres auteurs ont observé une anomalie dans le comportement des prix à travers la présence d'une volatilité excessive dans les cours boursiers, marquée par un écart important et persistant entre le prix réel d'un titre financier et sa valeur fondamentale. Pour Shiller (2003) et bien d'autre, cette anomalie est la conséquence directe du comportement irrationnel des investisseurs. Ceux-ci semblent également être à l'origine de stratégies d'investissement profitables et auto-réalisatrices qui autorisent la présence d'autocorrélations sérielles des cours boursiers, conséquence d'une réaction biaisée des investisseurs aux informations qu'ils détiennent et à celles divulguées sur le marché.
C'est dans la perspective d'examiner l'apport de la finance comportementale à l'explication de certaines anomalies observées sur les marchés financiers que s'inscrit notre thèse. A travers ce travail de recherche nous proposons de revenir sur les fondements de la théorie mère de l'efficience pour arriver à l'émergence du paradigme comportemental de la finance, en mettant l'accent sur ses principales contributions à une meilleure compréhension du fonctionnement des marchés financiers. L'atteinte de cet objectif passe obligatoirement par une investigation empirique, que nous avons choisis d'appliquer sur le marché des actions algérien.
A cet effet nous avons conduits trois tests empiriques sur un échantillon composé des cours et des rendements journaliers de l'indice DZAIRINDEX, pour une période d'étude comprise entre le 03 janvier 2008 et le 15 mars 2017. Les résultats auxquels nous sommes parvenus se présentent de la manière suivante :
- Les cours de l'indice DZAIRINDEX souffrent d'autocorrélation sérielle significative pour pratiquement l'ensemble de la période d'étude, en accord avec l'absence d'un processus de marche aléatoire dans la série. Le marché des actions algérien est donc inefficient au sens faible.
- Les rendements passés de l'indice DZAIRINDEX expliquent les volumes de transaction futurs. Ce résultat signifie que les investisseurs opérant sur la bourse d'Alger s'auto-attribuent les rendements du marché, du fait d'un excès de confiance dans leurs compétences.
- La sur-réaction des investisseurs algériens à leur information privée, expliquée par la présence d'un biais d'excès de confiance, ne cause pas la volatilité des rendements du marché des actions algérien. Toutefois, elle contribue, en adéquation avec d'autres facteurs, à l'expliquer.
En somme, il convient de noter que l'investigation empirique menée dans notre recherche sur la bourse d'Alger, en confrontant les deux théories fondamentales en finance de marché, est à notre connaissance inédite. Outre l'ambition de vouloir susciter l'intérêt des étudiants et chercheurs algériens pour investir le champ de la recherche sur le fonctionnement des marchés financiers, les résultats obtenus apportent les premières conclusions empiriques quant à l'efficience ou non de la Bourse d'Alger, et le degré d'implication de la psychologie des investisseurs algériens dans leurs prises de décision.